Laissez-moi vous raconter ce que j’ai appris en quarante ans derrière mon comptoir d’armurerie. Si vous me demandez ce que signifie « tirer proprement », je ne vous parlerai pas de propreté au sens conventionnel. Non, c’est bien plus profond que ça.
L’art du tir propre selon les anciens
Dans notre jargon d’armuriers et de chasseurs, « tirer proprement » représente l’excellence dans l’exécution du tir. C’est comme quand mon grand-père m’observait à mes débuts, hochant la tête quand j’alignais parfaitement ma cible et secouant ses vieilles mains calleuses quand je précipitais mon geste.
Je me souviens encore de ma première chasse au sanglier dans les Ardennes. J’avais 16 ans, impatient et nerveux. L’animal était passé à bonne distance, j’avais pressé la détente… et complètement raté ma cible. « Tu n’as pas tiré proprement », m’avait dit mon oncle. Ce jour-là, j’ai compris que la précision ne se limite pas au résultat mais englobe tout le processus.
Tirer proprement, c’est d’abord:
- Maîtriser sa respiration jusqu’à l’immobilité parfaite
- Presser la détente avec douceur, sans à-coup
- Maintenir sa position pendant et après le tir
- Respecter l’animal en visant les zones vitales
Les anciens ne parlaient jamais de « tir éthique » comme on l’entend aujourd’hui, mais leur notion de tir propre englobait déjà cette dimension de respect envers le gibier. C’est tout un art qui s’est transmis de génération en génération.
Pourquoi le tir propre est un véritable code de conduite
Au fil des décennies passées à conseiller les chasseurs dans mon armurerie, j’ai réalisé que tirer proprement va bien au-delà de la technique pure. C’est un véritable code moral qui régit nos rapports à l’arme, au gibier et aux autres pratiquants.
Ce code implicite comprend plusieurs dimensions importantes:
Dimension | Signification |
---|---|
Technik | Précision, maîtrise du geste, adaptation aux conditions |
Éthique | Abréger les souffrances, ne tirer que si la réussite est probable |
Sociale | Reconnaissance par les pairs, transmission aux novices |
Sécuritaire | Anticipation des risques, maîtrise des trajectoires |
L’autre jour, un jeune client m’a demandé pourquoi son grand-père avait refusé de lui prêter son fusil après l’avoir vu tirer. Je lui ai expliqué que dans notre milieu, la façon dont vous tirez en dit long sur votre caractère. C’est comme une signature personnelle qui révèle votre patience, votre humilité et votre respect pour les traditions.
Les signes qui trahissent le tireur propre
En observant les tireurs depuis mon comptoir jusqu’au pas de tir ou en battue, j’ai appris à reconnaître immédiatement ceux qui tirent proprement. Leurs gestes ne mentent jamais.
Pour les anciens, un tireur propre se reconnaît à:
- Sa préparation méticuleuse avant chaque tir
- Son calme olympien même dans l’excitation de l’action
- Sa capacité à s’abstenir quand les conditions sont défavorables
- Son analyse humble après chaque tir, réussi ou manqué
Le vieux Marcel, un client fidèle depuis trente ans, n’a jamais utilisé plus de deux cartouches par saison de chasse. « Un tir, un gibier« , répète-t-il souvent. Cette économie n’est pas financière mais éthique: chaque balle doit compter, chaque vie prélevée doit l’être proprement.
J’ai remarqué que les tireurs qui comprennent ce code ne cherchent jamais à impressionner par la quantité mais par la qualité. Ils entretiennent leurs armes comme des extensions d’eux-mêmes, avec un respect presque religieux pour la mécanique et pour ce qu’elle représente.
Ce savoir ancestral se transmet rarement dans les livres ou les formations. Il s’acquiert par l’observation des anciens, par leurs hochements de tête approbateurs ou leurs silences éloquents. C’est pourquoi je prends toujours le temps, entre deux ventes, de partager ces valeurs avec mes clients les plus jeunes.